Aiden
Je suis assis derrière mon bureau, l’ombre de la nuit tombée se faufilant à travers les rideaux. Le silence de ce bureau me pèse, presque autant que le poids de mes pensées. Il est tard, mais je ne peux pas décrocher. Pas encore. Pas après ce qu’il s’est passé. Elle est là, dans mon esprit, comme une empreinte laissée sur ma peau, impossible à effacer.
Elina. Elle ne sait pas encore à quel point je la veux. À quel point chaque instant passé près d’elle, même celui où elle m’ignorait, a laissé une marque. Une marque brûlante que je ne peux ignorer. Elle est en moi, tapie dans un recoin de ma conscience, m’échappant encore, mais je sais qu’à chaque rencontre, elle deviendra de plus en plus présente, plus envoûtante, jusqu’à ce qu’elle occupe tout l’espace.
Je pose mes mains sur le bureau, les doigts effleurant le bois poli. L’image de son visage, la façon dont ses yeux se sont baissés quand je lui ai parlé… C’était plus qu’une simple conversation. C’était un avertissement, pour elle comme pour moi. Je savais exactement ce que je faisais. Mais je voulais aussi voir si elle résisterait. Si elle resterait distante. Ce qu’elle a fait, je l’ai vu à travers son regard. L’hésitation. La curiosité. La tentation. Elle l’a sentie. Et elle n’a pas reculé. Pas un instant. Elle a bien vu ce que j’essayais de faire. Je suis sûr que l’idée de céder l’a effleurée, qu’elle a eu un instant de faiblesse. Mais elle a résisté. Elle veut résister.
Un sourire sans joie se dessine sur mes lèvres. Elle est fragile, comme une flamme vacillante. Une flamme que je pourrais souffler d’un simple souffle, ou attiser jusqu’à la rendre incontrôlable. Et ça, c’est ce qui me trouble le plus. Je la veux dans mon contrôle. Mais plus je la regarde, plus je me rends compte qu’elle me défie. Comme si elle savait que, quelque part, j'avais déjà perdu un peu de mon propre contrôle en la laissant entrer dans ma vie. Elle se tient à la lisière de mon territoire, prête à faire un pas de plus, mais toujours avec cette peur, ce doute qu’elle garde bien en elle. Elle se refuse à m’appartenir. Mais je sais qu’il viendra un moment où elle ne pourra plus ignorer ce lien qui nous unit. Ce lien invisible mais puissant, plus fort que tout ce qu’elle pourrait imaginer. Elle va se perdre dans ce jeu, à un moment ou à un autre.
Le téléphone vibre sur mon bureau, me tirant de mes pensées. Un message. Sarah. Elle m’a sûrement vu entrer dans son appartement avec elle tout à l’heure. Je n’ai pas fait attention à la façon dont les choses se sont enchaînées. J’étais juste… pris par l’instant. Une impasse. Elle m’a captivé d’une manière que je n’ai pas l’habitude de ressentir. Un dérapage. Un dérapage dangereux. Et pourtant, quelque part, j’en ai besoin. J’ai besoin de la sentir près de moi, de la sentir lutter contre ce désir qu’elle ne peut pas encore comprendre.
Je prends le téléphone, lis le message. Son ton est direct, presque froid. Elle me prévient, me conseille de ne pas trop m’approcher d’Elina. Elle me connaît. Elle sait que je joue avec des flammes. Mais elle ne comprend pas. Elle ne sait pas ce que c’est, d’être dans ce jeu. Un jeu qui échappe à tous, à commencer par moi. Elle pense que je suis maître du jeu. Mais elle ignore que c’est Elina qui en détient les règles, à sa manière. Elle ne le sait pas encore. Elle va le découvrir, mais trop tard. Tout le monde croit que je contrôle les situations. Mais parfois, je suis moi-même pris dans une spirale dont je ne peux m’échapper.
Je laisse le téléphone de côté et me lève, me dirigeant vers la fenêtre. Mes yeux cherchent une issue dans l’obscurité de la ville. La brise nocturne passe à travers les rideaux, m’apportant un peu de fraîcheur. Mais rien ne peut me calmer. Rien n’atteint ce feu qui brûle en moi. Je pense à Elina. À son regard inquiet. À cette alchimie qu’elle essaie de réprimer. Elle ne le sait pas encore, mais elle est déjà prise dans ma toile. Chaque mouvement, chaque pensée, chaque mot entre nous fait partie de mon plan. Elle croit peut-être qu’elle a le contrôle, mais je sais déjà que ce n’est qu’une illusion. Elle va le découvrir, trop tard. Quand elle comprendra enfin qu’elle m’a laissé entrer dans sa vie, elle ne pourra plus revenir en arrière. Et moi, je serai là. À l’attendre. Comme un prédateur dans l’ombre, prêt à frapper au moment où elle baissera sa garde.
Je me tourne enfin, le regard fixé sur la chaise vide en face de moi. Une chaise où elle pourrait être assise. Où elle sera assise. Quand je serai prêt à la faire craquer. Quand je serai prêt à la mener là où elle ne pourra plus revenir. Elle pense peut-être que je joue à un jeu dangereux, mais elle ignore que ce n’est pas elle qui détermine les règles. Elle a déjà pris un pas de plus dans ce que je lui réserve. Un pas qu’elle ne pourra pas effacer.
Elle va bientôt comprendre.
Elle va comprendre qu’aucun d’entre nous n’a de chance de s’échapper de ce qui se profile.
Le jeu ne fait que commencer. Et je serai ce
lui qui dicte la fin.
ELINALisière du camp : Crépuscule rougeLe ciel saigne.Un rouge dense, saturé, éclaté sur les hauteurs comme une plaie béante. L’air est lourd, chargé d’électricité, de cendres volantes et de cette odeur familière : sueur, métal, peau animale chauffée à blanc. Il y a une tension dans le vent. Une peur contenue, crue. Elle ne vient pas de moi , elle vient de la terre.Je suis en première ligne. Là où tout commence. Là où tout peut finir.Autour de moi, les nôtres s’apprêtent. Pas un mot. Pas un hurlement. Pas même un battement de cœur inutile. Ce soir, la guerre ne se danse pas. Elle s’égorge.À ma droite, Aiden, solide comme un roc. Il ne bouge pas, mais ses épaules vibrent d’un calme terrible. Ses griffes brillent déjà, prêtes à déchirer.À ma gauche, Lys, plus loup qu’humaine. Ses yeux ont viré au bleu électrique. Sa respiration est courte. Mais régulière. Contrôlée. Un battement de rage maîtrisé.Et derrière, les nôtres. La meute restée. La vraie. Pas les plus puissants. Pas les
ELINACamp des Loups, Fin de matinéeLe tumulte ne faiblit pas.Il gronde dans l’air, comme un grondement sourd qui monte des entrailles de la terre. Les minutes s’étirent, tendues à craquer. Chaque bruit, chaque cri, chaque martèlement de pas résonne dans mes tempes, et ma peau vibre d’alerte. J’ai quitté Aiden depuis peu, mais la chaleur de sa paume reste imprimée dans la mienne. Je m’y accroche. Comme à une encre dans la tourmente.Autour de moi, la meute s’active.Les éclaireurs reviennent, haletants, le regard halluciné, les griffes encore sorties pour certains. Le sol est labouré par des sabots et des griffes, des sacs éventrés, des chaînes oubliées. Les ordres fusent, secs, rapides. L’odeur de sueur, de terre et d’adrénaline flotte dans l’air. La tension est presque palpable, comme si elle avait pris corps.Un jeune arrive en courant. Son souffle est court, son pelage encore mi-dressé malgré sa forme humaine.— Trois colonnes en approche. En ligne. Ils ont des drapeaux noirs… e
ElinaCampement sud, matin clairLe vent léger fait frissonner les feuilles mortes qui jonchent le sol autour du campement, soulevant par instants de petits tourbillons de poussière fine. L’air est encore frais, chargé de cette odeur âcre et métallique propre aux nuits passées près du feu et à l’anticipation sourde du sang à venir. Autour de moi, le camp s’éveille dans une tension palpable. Les voix, d’abord chuchotements d’inquiétude, deviennent ordres, cris, consignes données dans la hâte et l’urgence.Partout, des silhouettes s’agitent. Des mains nouent des cordes, chargent des carquois, tendent des arcs, aiguisent des lames. Le bruit sourd des pas lourds sur la terre battue se mêle aux grincements des charrettes. Le regard des combattants est dur, parfois embrumé par la peur, mais surtout chargé d’une détermination sourde, prête à éclater.Et pourtant, malgré ce tumulte, mon esprit ne peut s’éloigner. Mes yeux cherchent celui dont la présence seule suffit à calmer la tempête dans
ElinaCampement sud, premières lueurs de l’aubeLe ciel s’ouvre lentement, une faille lumineuse dans la nuit encore épaisse. Des nuances subtiles de rose, d’or et de lavande s’étirent à l’horizon, déposant une caresse douce sur nos visages marqués par la fatigue et les combats. Le feu de la veille s’est mué en un lit de braises rouges, qui palpitent faiblement, comme un cœur qui refuse obstinément de s’arrêter.Je sens encore la chaleur de la main de Léonie dans la mienne, un lien silencieux, solide, dans le tumulte de mes pensées. Cette nuit, j’ai cru toucher un avenir que je croyais interdit, un fragment de paix que je pensais hors de portée, un renouveau improbable qui renaît de nos cendres communes. Un espoir si fragile qu’il aurait pu se briser au moindre souffle.Mais l’aube, en révélant la lumière, fait aussi surgir les ombres tapies au loin.À l’orée du camp, une silhouette s’avance dans la pénombre. C’est Marek, le messager, appuyé sur sa canne, sa démarche lourde trahit l’ur
LéonieCampement sud, au bord du feuLe vent s’est enfin calmé.Autour de nous, les flammes dansent doucement, leur lumière vacillante projette des ombres mouvantes qui semblent raconter mille histoires sur la terre sombre et nue.Elles ondulent lentement, presque hypnotiques, et malgré le froid mordant de la nuit, une chaleur ténue enveloppe nos corps fatigués, comme si cette lueur fragile avait le pouvoir de recoudre nos âmes éparpillées.La nuit semble apaisée, suspendue à ce moment fragile, offrant à nos cœurs meurtris un bref répit volé à la guerre, au tumulte et à la douleur.Je serre la main d’Elina dans la mienne, consciente de la force que ce simple contact peut transmettre.Elle me répond, ses doigts s’enroulant autour des miens avec une intensité nouvelle, un besoin presque désespéré de s’accrocher à ce lien ténu, fragile, mais réel.Ce lien qui traverse le temps, les silences et les blessures, et qui, malgré tout, ne s’est jamais totalement brisé.— Tu te souviens de ce vi
LéonieCampement sud, bordure de la pierre sacréeElina s’est tue.Le silence entre nous n’est plus pesant, il est devenu doux, presque fragile.Comme un voile léger, un souffle suspendu au-dessus de nos blessures ouvertes.Je pourrais rester là des heures, à écouter ce silence chargé de non-dits, à ressentir le poids de tout ce qui n’a pas été dit, tout ce qui ne pourra jamais s’effacer.Pas parce que je lui ai pardonné.Pas parce que la rancune s’est évanouie.Mais parce que je n’ai plus envie de fuir.La brume épaisse enveloppe tout.Les ombres dansent autour de nous, fantômes silencieux de nos souvenirs partagés et de nos combats oubliés.Un souffle de vent secoue une branche, faisant bruisser les feuilles mortes.Un bruit ténu, presque insignifiant, mais qui déchire la nuit comme une fissure dans une armure invisible.Elina ne bouge pas.Ses yeux, vastes lacs d’ombres et de lumière, sont fixés sur le vide devant elle, comme si elle cherchait dans cette brume épaisse une réponse o